15.12.2014

Jason Rhoades :
Perfect Process

Paradise / A Space for screen addiction
LECLERE - Maison de Ventes
5 rue Vincent Courdouan 13006 Marseille

18.12.2014

Cette semaine le galeriste Arnaud Deschin a répondu aux questions posées par Margaux Barthélemy au sujet de la dernière exposition des deux jeunes curators Emmanuelle Luciani  & Charlotte Cosson, « Jason Rhoades : Perfect Process », troisième exposition qu’elles organisent à l’intérieur de Paradise / A Space for screen addiction, lieu dédié à l’art vidéo au sein de la Maison de ventes marseillaise Leclere.  Une oeuvre vidéo inédite de l’artiste californien Jason Rhoades,  longue de huit jours,  à découvrir de jour comme de nuit jusqu’au mercredi 18 décembre 2014.

Arnaud, pouvez-vous commencer par vous présenter à nos lecteurs et introduire les deux jeunes curators : Charlotte Cosson et Emmanuelle Luciani que vous connaissez bien?

J’ai été formé dans quatre écoles d’art, Amiens, Le Havre (Cardiff), Besançon et Marseille, à l’art de l’installation, l’art conceptuel, l’esthétique relationnelle, les techniques de moulages et le design graphique. Ensuite, je suis devenu assistant à la galerie Roger Pailhas pendant quelques années à partir de 1995 au côté du Pierre Bal Blanc et du galeriste Laurent Godin. Au fil du temps et grâce à ces expériences enrichissantes, j’ai eu envie d’apprendre, à vendre de l’art contemporain et de voler de mes propres ailes. De ce fait et à l’âge de 30 ans, j’ai décidé d’apprendre le métier de commercial et de débuter une « mini » carrière de 13 années au sein d’un grand laboratoire pharmaceutique. Et c’est à 40 ans que j’ai décidé de revenir à mes premiers amours en mettant en avant de jeunes artistes dans une galerie que je voulais transgressive et en l’occurrence dans mon lieu de vie que j’ai appelé La GAD, loin du système classique du White Cube. Avec ce concept j’ai pu organiser de nombreuses expositions avec plus de 90 artistes allant de Eva Barto à Julio Le Parc, en passant Cyril Verde, Ellen Cantor et Elvire Bonduelle.

En 2012, lors d’une exposition « battle » avec Francisco Da Mata dans mon espace, j’ai fait la connaissance d’un nouveau talent, Emmanuelle Luciani qui m’ a présenté son projet curatorial avec Charlotte Cosson. L’exposition qu’elles ont montée en duo « Borderline » a presque été thérapeutique pour moi. Toutes les pièces présentées l’étaient dans chaque pièces de la galerie qui encore une fois est mon lieu de vie. Chacune des œuvres était un écho à notre vision commune de l’art conceptuel. J’avais presque l’impression d’être un petit rat de laboratoire…  Ce projet était un dialogue entre des œuvres mises en scène chez moi.

Charlotte Cosson et Emmanuelle Luciani qui ont magnifiquement bien utilisé La GAD dans le parcours « hors les murs »  d’Art-O-rama en 2013. Art-O-rama créé en 2007 est le premier Salon internationnal d’art contemporain du sud de la France. C’est à chaque fois un bonheur de travailler avec ce duo de choc et de découvrir leurs choix artistiques. Je suis très fier d’avoir collaboré avec elles.

Elles présentent pendant 8 jours une oeuvre vidéo de l’artiste américain Jason Rhoades, dans un espace qu’elles ont dédié à  » l’addiction à l’écran » et qu’elles appellent Paradise/A Space fo Screen  au sein de la Maison de Vente marseillaise Leclere. Pouvez-vous nous éclairer sur la logique de cet espace dédié qui vient s’inscrire dans une chronologie de plusieurs expositions, après les précédentes « Post-Internet » et « Speculative Materialism Oo Oo » ? 

Charlotte et Emmanuelle nous communiquent leur passion pour l’art de façon presque paradisiaque, dans un cube fabriqué en miroirs dans lequel nous entrons par une porte et à l’intérieur duquel l’œuvre vidéo de Jason Rhoades est présentée. D’avis de galeriste, une fois acquise une œuvre d’art vidéo est comme un tatouage que l’on peut porter toute sa vie avec soi, dans sa poche sur une clé USB par exemple.

Le contexte de cette exposition est assez inédit, puisque l’oeuvre vidéo présentée a la particularité de durer 8 jours, l’espace d’exposition sera donc ouvert au public nuit et jour jusqu’au 18 décembre. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet en tant que galeriste, commissaire d’exposition et spectateur ?

Depuis son ouverture, le film présenté dans cette « boîte » m’a rendu addict. Cinq jours déjà que j’y dors et y rêve éveillé. Huit jours pour visionner, c’est le « contrat »,  un défi que l’artiste nous propose de relever avec lui. En tant que spectateur, je dirais qu’il est complexe de trouver matériellement le temps de vivre cette expérimentation…  Vous pouvez y aller le jour entre 9h et 18h et le reste du temps prendre RDV ce que j’ai fait avant ce mercredi minuit. Il est tout à fait possible d’y faire de simples passages même si le but est d’y prolonger le plus longtemps possible ces moments.

Vous avez assisté au vernissage hier soir. Pouvez vous nous parler de l’accueil réservé à cette exposition par les marseillais ? De l’ambiance générale lors de l’évènement ? De la gestion de l’espace et de l’installation de la projection vidéo ?

En fait, c’est une vidéo qui se découvre sur un écran de taille moyenne. L’espace est comme un caisson hyperbare. On y est dans un noir complet et isolé des bruits extérieurs de la salle de ventes. Par conséquent, même lors d’un vernissage, nous restons dans une zone de confort, en l’occurrence lorsque la porte est fermée pour visionner la vidéo dans les conditions optimales voulues par les curatrices.  Pour vous répondre quant à l’accueil des marseillais, je vous répondrais par les commentaires d’une jeune marseillaise, Marie Marcou :

« Marseillais venus nombreux : artistes, collectionneurs, habitués de la maison de ventes, nouveaux initiés à l’art contemporain. Pas seulement des marseillais d’ailleurs, des gens de passage pour quelques jours à Marseille comme certains artistes. Chaque nouvelle exposition du cycle vidéo de la maison de ventes Leclere est attendue. À la fois, découverte d’un artiste ou d’une de ses oeuvres mais aussi espace de réflexion, d’interrogation… Installation géniale car vidéo dans une box… »

Parlons maintenant de l’artiste californien Jason Rhoades disparu trop tôt à l’âge de 41 ans en 2006, élève de Paul Mc Carthy et de Richard Jackson, représenté par des galeries aussi prestigieuses que David Zwirner, Hauser & Wirth, présent dans la collection des Rubell à Miami, encensé l’année dernière à l’occasion d’une rétrospective « Four Roads » (organisée à l’Institute of Contemporary Art de Philadelphie),  mais surtout connu des français pour sa formidable Chatte de Beaubourg... 

Rappelons ce qu’est la Chatte de Beaubourg :  c’ est un assemblage de 4 roues de charrette suspendues à l’horizontale où s’y enchevêtrent des fils électriques auxquels sont accrochés 17 inscriptions en néon de couleurs différentes et 17 panneaux en Plexiglas de diverses couleurs. Cette œuvre s’inscrit dans une histoire qui va de L’Origine du monde de Courbet à l’ Objet-Dard de Marcel Duchamp. Elle constitue le clin d’oeil à la tradition érotique française vue par un artiste américain majeur de sa génération.  Il est vrai que tous ces noms nous donne le vertige. Face à cette puissance du marché de l’art, on se sent parfois minuscule…

Connaissez-vous l’origine de cette vidéo longue de huit jours, réalisée en 2001 ?

Jason Rhoades a compilé des images et des documents d’archives de sources diverses mis tous en lien avec son histoire et son travail. Cette video faisait partie d’un ensemble plus vaste et a été produite dans le cadre de son projet Costner Complex.

L’artiste avait bien spécifié que cette oeuvre devait toujours être projetée intégralement et surtout pas découpée en épisodes, peut-être avait-il une idée derrière la tête…. ?

Jason Rhoades n’a pas spécifié particulièrement de condition de monstration de cette oeuvre. Selon Charlotte Cosson et Emmanuelle Luciani, tout le travail de Jason Rhoades repose et se concentre sur l’idée d’impossibilité de saisir la globalité du monde, quelque chose de typique des années 90, ce que cette œuvre longue de huit jours matérialise.

 ….celle de ne jamais être analysée entièrement ? Pouvez-vous nous parler de ce que vous avez observé sur l’écran hier soir ?

J’ai observé hier soir sur l’écran des images de Pépites d’or sur fond bleu par exemple, cela fait référence à son histoire personnelle.  Il aurait trouvé enfant une pépite d’or, ou d’autres images par exemple de légumes, ou de vues d’installations.

Le rythme est assez lent, une image en chassant une autres …

C’est une compilation d’images comme ce qu’on appelle « slideshow »  (diaporama), qui recense des photos et nombreux documents de la vie de Jason Rhoades.

 Qu’est-ce qui a motivé ces deux jeunes curators d’exposer cet artiste à Marseille dans le cadre de cette série d’expositions  PARADISE / A Space for screen addiction ?

PARADISE / A Space for screen addiction n’est pas vraiment une série d’expositions mais un lieu que les curatrices Charlotte Cosson et Emmanuelle Luciani ont dédié à « l’addiction à l’écran ». C’est leur troisième exposition dans ce lieu . Celle-ci permet la réunion de leurs deux sujets de recherches actuels : l’art influencé par le digital et le « cool ». Elles ont d’ailleurs introduit cette recherche à La GAD avec   « A Sip of Cool » en août dernier ; elles y historisaient la notion jusqu’en -3000 dans des tribus africaines! Leurs précédentes expositions à PARADISE questionnaient quant à elles les termes « Post-Internet » et « Speculative Materialism » à l’aide d’oeuvres vidéo d’artistes tels que Pierre Huyghe, Camille Henrot, Takeshi Murata, Manuel Fernandez, Adham Faramawy, Antoine Catala et Hito Steyerl.

Alors que leur prochain projet rassemblera de jeunes pratiques issues de l’ère digitale et des artistes californiens historiques. Cette oeuvre de 2001 exposée à Marseille de Jason Rhoades ayant vécu la plupart de sa vie à Los Angeles était particulièrement frappante de ponts existants entre ces deux « scènes ».

Pensez-vous que les marseillais vont jouer le jeu et profiter de la présence de cet artiste aussi reconnu en plein cœur du 6ème arrondissement de Marseille ? D’après vous, le public saisit-il l’enjeu et la particularité de cette exposition ? Vont-ils y retourner plusieurs fois pendant ces huit journées de projection, de jour comme de nuit ?

Il ne faut pas sous-estimer le public marseillais qui est très curieux. Il saura reconnaître la qualité de ce lieu et son originalité. Avec ce type de projets comme ceux proposés par La GAD, par la maison de vente Leclere et par le Mamo, le renouveau artistique marseillais est là et sans subvention publique. Pour voler la référence au cinéma et au surf, je dirais qu’en ce moment à Marseille, c’est la nouvelle vague !

Une dernière question qui s’adresse au galeriste cette fois, comment expliquez-vous un tel retour en force de cette génération d’artistes californiens, que l’on croise de plus en plus dans les foires ces derniers temps : Richard Jackson, Alex Israel, Sterling Ruby, ….

La Californie est une région qui insuffle le bonheur et une sérénité que nombreux de ces artistes réussissent à nous communiquer. Cette année, j’y ai passé quatre mois en prospection artistique et j’y ai découvert une curatrice française, Isabelle Le Normand, installée depuis 5 ans à Los Angeles. De mon voyage, j’ai rapporté des œuvres d’artistes tel que Ian Markell, Andrew Cannon et John Birtle. Venez les découvrir à La GAD, la galerie du bonheur !