06.07.2015

"Another Langage"
par Simon Baker.
Interview
en franglais
au Nord Pinus.

Eglise Sainte-Anne
Arles

30.08.2015

Pour clôturer en beauté la semaine d’ouverture des Rencontres de la Photographie d’Arles 2015, nous interviewons Simon Baker, curator de la photographie et de l’art international à la Tate Modern de Londres,  et commissaire de l’exposition « Another Langage » présentée à la Chapelle Saint-Anne, autour de la photographie japonaise.

Pourquoi avoir choisi de mettre le Japon à l’honneur pour cette exposition ? 

Parce qu’à mon avis la photographie japonaise n’était pas assez montrée en France, et en Arles lors des Rencontres. Depuis quelques années Arles s’intéresse aux livres et à l’édition, et le Japon est le premier à avoir établi le livre photo comme un livre d’art. Il est désormais notoire en Europe depuis les années 1970 que le Japon est le centre du monde pour le livre photo. Finalement il y a très peu d’artistes photographes japonais qui sont connus à l’extérieur du Japon, seulement un petit groupe de célébrités dont font partie Araki, Moriyama ou encore Sugimoto. L’idée de l’exposition c’est de montrer des artistes japonais qui n’ont jamais vraiment été exposés en Europe.

Mais des artistes déjà très célèbres au Japon ?

Oui beaucoup plus connus qu’ici c’est sur !  Comme par exemple l’artiste Issei Suda (1940) qui est un maître au Japon mais absolument inconnu en Europe.

Quand Sam Stourdzé t’a demandé de monter une exposition pour les Rencontres d’Arles, a-t-il formulé une demande autour du Japon en particulier ?

En fait l’idée a commencé avec Akio Nagasawa, fondateur de la meilleure maison d’édition au Japon, basée à Tokyo. Akio a initié quelque chose de très intéressant en commençant des dialogues avec des photographes plus anciens en accédant à leurs archives personnelles. Lorsque j’ai commencé à discuter avec Sam j’ai réalisé que grâce à cet incroyable éditeur il serait plus facile de montrer en Europe des artistes japonais puisqu’il avait déjà entrepris ce travail d’archives. Akio est un éditeur doté d’un très bon gout, ses ouvrages sont absolument merveilleux.

Tu as donc réalisé l’exposition en collaboration avec Akio Nagasawa?

Oui, l’idée de l’exposition est née avec lui. Notamment lorsque j’ai découvert l’ouvrage « Early Works » de Issei Suda, j’étais absolument « blown away » ! Je connaissais son nom mais absolument pas cette partie de son travail. J’ai donc discuté avec Akio et je lui ai demandé s’il était possible qu’on obtienne ces tirages pour l’exposition. On a donc commencé l’exposition avec Issei Suda et Eikoh Hosoe (1933) puis une discussion est née pour savoir qui pouvaient être les autres artistes, qui pouvait être mis côte à côte. Nous avons ainsi décidé que Masahisa Fukase (1934-2012) devait participer à cette exposition. D’ailleurs il est déjà très connu hors du Japon, mais uniquement pour une série intitulée « Ravens » où il photographiait des oiseaux noirs alors qu’il traversait une grosse dépression, c’est une série très connue dans l’Histoire de la Photographie. Pour moi c’était très important de montrer Masahisa Fukase ici en France. Fukase a beaucoup photographié sa famille, notamment lors d’un grand projet sur son père, et aussi sur Yohko. Cette série présente dans l’exposition, « From Window » réalisée en 1974 est immense puisqu’il a photographié chaque matin, de sa fenêtre, sa compagne partant au travail, dans une tenue différente, pendant deux mois.

Pourquoi avoir choisi uniquement des artistes qui travaillent en noir et blanc ?

J’aimerais préciser que je porte actuellement un tee-shirt sur lequel est inscrit en japonais « Couleurs » ! Le noir et blanc est une décision qui s’est imposée suite aux choix des photographes. Nous avons d’abord décidé de travailler avec Eikoh Hosoe, Issei Suda, Kou Inose (1960) et Masahisa Fukase,  puis on s’est interrogé sur qui pouvait aussi participer à l’exposition. Daido Moriyama (1938) s’est alors imposé avec cette série extraordinaire « A Room », réalisée dans les années 1980,  jamais montrée auparavant, qui va à l’opposé de tout son travail. C’est un artiste vraiment timide, qui est surtout connu comme « street photographer » et qui n’avait jamais montré cette série de nus réalisée dans une chambre. On a ensuite choisi deux jeunes artistes, Saisuke Yokota (1983) et Sakiko Nomura (1967), avec des oeuvres également en noir et blanc. On pourrait d’ailleurs faire une prochaine exposition en couleur !

Justement concernant Sakiko Nomura, s’agit-il de timidité  lorsqu’elle choisit de montrer des photographies de nus complètement noires avec sa série « Another Black Darkness », 2009 ?

Il faut savoir qu’elle a été l’assistante de Araki, elle travaille sur l’intimité essentiellement. Son livre qui est installé dans l’une des vitrines de l’exposition est déjà « really really really dark » ! Ce qui est intéressant avec la noirceur de son travail, c’est que lorsque le spectateur aperçoit son oeuvre il ne voit qu’une sorte de monochrome noir, il faut s’approcher très près de la photographie pour deviner les corps nus qui se cachent sous la matière photographique.

On dirait une sorte de censure, comme si le noir empêchait de voir les corps nus au premier coup d’oeil…

Oui tout à fait, cela apporte un certain rapport avec le spectateur. Elle joue aussi beaucoup avec le procédé, avec la matière, il faut savoir qu’au Japon ils sont encore nombreux à continuer à travailler à la chambre noire.

Est-ce que c’est un procédé similaire à celui de Daisuke Yokota ?

Daisuke Yokota (1983) a produit quelque chose d’unique, en utilisant ses propres livres comme négatif en recouvrant les pages de cire. On pense d’ailleurs en photographie que le livre photo est le dernier stade du procédé, alors que pour lui c’est le début, c’est la matière même de sa photographie. C’est un peu l’étoile montante de la photographie japonaise actuellement.

Sur les supports de communication de l’exposition, sur chaque cartel, tu fais référence à l’exposition du MOMA qui a eu lieu en 1974 autour de la photographie japonaise « New Japanese Photography » organisée par John Szarkowski et qui présentait sept photographes japonais contemporains . En tant que commissaire, est-ce que pour toi cette exposition est une suite ?

Oui, tout à fait. D’ailleurs l’idée de cette exposition est de dire qu’en 1974 à New York, les visiteurs de l’exposition du MOMA pouvaient se dire « All of this is new, you never seen it before, it’s really exciting…! » Et nous avons pensé : « And what if we try to do the same here ? » Et c’est toujours vrai : c’est nouveau et ça n’a jamais été montré en Europe auparavant. Les réactions sont similaires, même auprès des spécialistes de la photographie qui sont présents en Arles et qui me disent  : « I never heard of this guy ! »

C’est d’ailleurs probablement la plus grosse découverte des Rencontres…

« It was this idea » ! Même Stephen Shore qui est passé voir l’exposition en Arles m’a demandé «  Who is Kou Inose ? Who is this guy ? I want to get the book, I want to understand who he is … ». Nous avons eu le même type de réaction autour de Issei Suda. Et c’est honnêtement ces réponses là qui nous rendent les plus heureux à propos de cette exposition.

Peux-tu nous dire un petit mot sur cette nouvelle édition des Rencontres ?

Ce que je trouve intéressant cette année c’est que Sam Stourdzé a essayé de créer des liens entre la photographie et d’autres disciplines : avec la musique, l’architecture, la performance…Je trouve que c’est très intéressant, notamment avec l’exposition de Robert Venturi « Las Vegas Studio » pour l’architecture, ou encore « Total Records » pour la musique. Je pense que c’est nécessaire « to stretch photography in some other directions, to make more sens ». C’est d’ailleurs le cas avec « Total Records » : « you realise that you’ve seen photography everyday of your life on this cover. »

Le niveau est très bon cette année, la manière dont les expositions sont montées, accrochées, pensées, présentées… On sent une qualité muséale en entrant dans chaque exposition.

Une question à propos de ton oeuvre favorite présente dans l’exposition, la série « From Window » par Masahisa Fukase en 1974 : pourrais-tu citer une autre oeuvre dans l’Histoire de la Photographie qui parle aussi bien d’amour et du couple, sujet compliqué en photographie…

Je pense forcément aux deux séries d’Araki sur sa femme  : « Sentimental Journey » c’est le début de leur mariage,   et « Winter Journey », la mort de sa femme. It’s a masterpiece !

Terminons sur le nouvel espace réservé aux livres cette année, qui a été déplacé aux Ateliers, car je crois que nous partageons le même avis …

Oui effectivement c’est un point problématique puisque cette année l’espace dédié aux livres, le Cosmos, est moins agréable, moins convivial, il y fait une chaleur écrasante, beaucoup trop chaud pour prendre le temps d’ouvrir chaque livre. L’année dernière par exemple je pense avoir passé les trois quarts de la semaine d’ouverture au Cosmos, prenant le temps de regarder chaque livre, trinquant avec les artistes et les éditeurs autour d’un verre…. Ce qui n’est pas vraiment possible cette année. J’espère qu’ils sauront trouver pour l’année prochaine un lieu plus central pour les livres, plus adapté, même si je sais bien que les espaces manquent cruellement en Arles.

 

Merci Simon !