20.10.2016

La Fiac vue par
Timothée
Chaillou.

Paris

25.10.2016

Aujourd’hui c’est au tour du critique d’art et commissaire indépendant, Timothée Chaillou, de nous livrer ses fraîches et précieuses impressions sur cette 43ème édition de la FIAC.
C’est après avoir partagé ensemble quelques Uber Pool jusqu’à Pantin, dansé sur Britney Spears chez Ropac, trinqué au Bal Jaune, demandé un devis commun à un encadreur,  que nous avons trouvé le temps de débriefer cette édition 2016. Timothée répond donc à nos questions,  (rédigées dans un car en direction de Mitry-Mory), avec le sérieux qu’on lui connait. 

Margaux Barthélemy – Grand ou Petit Palais ?

Timothée ChaillouExcellente initiative d’avoir réuni les deux bâtiments pour retrouver cette allée piétonne qui les unissait à leur origine. L’oeuvre de Lawrence Weiner, sur le sol de cette allée, et le baiser de deux voitures se rencontrant d’Ange Leccia, sont judicieusement contextuelles. En revanche, je ne suis pas convaincu de la pertinence de la sélection d’oeuvres installées au Petit Palais, vis à vis de la collection du Musée des Beaux-Arts de Paris (sauf peut-être pour « Anatomy of an Angel » de Damien Hirst) et j’ai été très déçu de la sélection des oeuvres pour le Jardin des Tuileries – surtout qu’il n’y a plus, depuis cette année, de parcours de sculptures au Jardin des Plantes. La FIAC est une foire. C’est un événement très conservateur et un lieu de commerce avant tout, qui de par la lourdeur de sa logistique ne peut changer totalement son format. Reste que comme toutes les foires d’art contemporain, elle se doit d’offrir une programmation culturelle, favorisant les échanges, la transmission des savoirs tout en permettant d’exposer différemment certaines oeuvres sélectionnées (comme au Petit Palais, au Jardin des Plantes ou au Palais de la Découverte). 

Margaux Barthélemy – Bal jaune ou fiesta chez Ropac ? 

Timothée Chaillou – Les deux. La Fondation Ricard est un soutien indispensable pour la scène contemporaine française et quel plaisir d’aller danser à Pantin entouré des oeuvres de James Rosenquist dans une exposition rétrospective de 40 années de carrière, alors qu’aucun musée en France ne l’a fait.

Margaux Barthélemy – Relou non ce thème extra-bariolé ? Bien que ta chemise t’allait très bien…

Timothée Chaillou - J’ai toujours été un inconditionnel des Fauves, alors tout ce qui est diapré me plaît – je porte rarementent du noir d’ailleurs, seulement à l’occasion de funérailles.

Margaux Barthélemy – Des acquisitions cette semaine ?

Timothée Chaillou - Oui, il faut soutenir cette scène contemporaine quand on le peut.

Margaux Barthélemy – Tes plus belles rencontres (artistiques) de la semaine ?

Timothée Chaillou - Une sculpture murale fait de fils de tissus de Caroline Achaintre chez Arcade, un nouvelle peinture de Philippe Mayaux chez Loevenbruck, de Math Bass chez Overduin & Kite, de Vitor Man chez Plan B, de Paulo Nimer Pjota chez Mendes Wood, les stèles de marbre consacrées à des signes du zodiaque par George Henry Longly chez Valentin, une nature morte photographique de Lucie Stahl chez Neue Alte Brücke, un portrait photographique de Buck Ellison chez Balice Hertling, entre autres.

Margaux Barthélemy – L’artiste à suivre ? 

Timothée Chaillou – Les « objets photographiques » que sont les compositions et natures mortes de Willa Nasatir.

Margaux Barthélemy – Est-ce que Kader Attia était aussi ton choix personnel pour ce Prix Marcel Duchamp  ?

Timothée Chaillou – Il le mérite.

Margaux Barthélemy – As-tu goûté le couscous de sa mère à La Colonie ?

Timothée Chaillou – Le couscous est un plat délicieux, mais il m’est interdit. La Colonie est un nouvel outil nécessaire à Paris. D’ailleurs, avec cette multitude d’espaces d’exposition indépendants et d’artists run-spaces (une vingtaine à Paris), la toute jeune association WeRunTheSpace permet à ces lieux, comme La Colonie, d’avoir une plateforme, en ligne et un agenda papier, pour diffuser leur programmation et organiser des conférences ou des événements ponctuels fédérateurs.

Margaux Barthélemy – D’après toi,  la FIAC est-elle un tremplin pour de jeunes artistes émergents ? Leur accorde-t-on assez de place pendant cette semaine cruciale ?

Timothée Chaillou – Oui, surtout que le versant qualitatif de cette scène émergente a pu, au premier étage de la Fiac, et à Paris Internationale, être montré. Les autres foires Off de ces années passées n’ont pas trouvé cet écho, dans un relai critique, institutionnel et marchand.

Margaux Barthélemy – Des événements ou expositions que tu as adoré cette semaine et dont on n’aurait pas assez parlé ?

Timothée Chaillou – Le wall-painting d’Alex Israel, au Mur Saint Bon, un fond de décor solaire, pour une rue grisâtre, les peintures de Karen Kilimnik au Chateau de Malmaison. J’ai été très déçu de la rétrospective Bernard Buffet au MAMVP, l’exposition s’appesantit sur le pathos morbide de son oeuvre, je ne comprends pas pourquoi avoir mis l’accent sur un aspect qui ne fera que du tort à un artiste qui a déjà si mauvaise presse. Dommage. L’exposition de Jean-Luc Moulène au Centre Pompidou est surprenante, érudite est celle de Georges Didi-Huberman au Jeu de Paume (qu’il est bien de coupler avec la visite de l’exposition de Joséphine Meckseper chez Gagossian), et si poétique celle de Tino Sehgal au Palais de Tokyo. Agréable d’avoir revu la collection de Claude Berri, avant qu’elle ne soit dispersée par Christies, et le dialogue entre les arbres blancs et géants de pierrse d’Ugo Rondinone, place Vendôme. J’irais voir Hans-Peter Feldmann à la Galerie des Galeries, « L’esprit du Bauhaus » aux Musée des Arts Décoratifs, Kris Knight chez Alain Gutharc et Nina Childress chez Bernard Jordan.

Margaux Barthélemy – Des ratés  ?

Timothée Chaillou – Beaucoup de stands ne sont volontairement, sans ambiguité, que de simples vitrines, avec une envie manifeste d’élégance harmonieuse trop artificielle, il y en avait à la pelle (du stand de Lisson en passant par Daniel Templon). Michelangelo Pistoletto va t-il longtemps briser de larges miroirs encadrés par de lourds encadrements dorés ? Les artistes de l’Arte Povera resteront-ils longtemps le curseur plaçant ainsi une galerie à un certain niveau, suivez mon regard : Calzolari chez Kamel Mennour, Kounellis chez Gavin Brown, Penone chez Marian Goodman, etc.
Qu’en est il des enjeux esthétiques des nombreuses réhabilitations d’artistes oubliés, mis de côtés par le marché, les institutions et la critique, comme Etel Adnan ou Sheila Hicks ? Parfois cela est pour le meilleur, parfois pour le pire, si l’on pense à l’exposition de cette dernière au Musée Carnavalet.

Margaux Barthélemy – On croise de plus en plus de gens de la mode lors de la preview de la Fiac : pour ou contre ? 

Timothée Chaillou – Pour, tout autant que si c’était des gens venus de l’univers botanique ou d’une autre forme d’artisanat puisque, cela semble être facilement oublié, la mode en est aussi un. Il y aura toujours une différence entre la part créative de la mode et l’écrasante uniformité que propose l’univers publicitaire, certains sont poètes d’autres n’ont l’argent que comme maître. En revanche la superficialité n’est pas l’apanage unique du milieu de la mode. 

Margaux Barthélemy – Grand Palais : rez-de-chaussée ou premier étage ?

Timothée Chaillou – C’est de leur union que la Fiac tire sa qualité. Je suis attentif aux deux, dans la découverte ou dans la quête d’une oeuvre en particulier d’un artiste précis. La Fiac doit trouver un moyen de mettre en avant les scènes des années 1980 à 2000. Comme le fait Artissima avec son secteur Back to the Future, ou Frieze cette année avec un éclairage sur la scène des années 90.
Une foire est un espace commercial, mais je reste attentif au travail de réflexion mené par les galeries pour leurs propositions de stands, dans le meilleurs notons Urs Fischer chez Sadie Coles, Karma International faisant dialoguer Sylvie Fleury et Marcel Broodthaers, le stand de la galerie Poggi avec une installation de Wesley Meuris, celui d’Emmanuel Perrotin conçu comme une installation par Emlgreen & Dragset, celui de Magazinno curaté par Vincent Darré (avec des oeuvres de Mircea Cantor, Piero Manzoni ou Aligheiro Boetti), celui de la galerie Rodeo avec une installation d’Iman Issa, le stand la galerie Francesca Pia avec des oeuvres de Philippe Decrauzat, Greg Parma Smith ou Thomas Bayrle, celui de la galerie Zero… avec des oeuvres de Vincenzo Agnetti, Micol Assaël, Joao Maria Gusmao et Pedro Paiva, et une performance de Cally Spooner.

Margaux Barthélemy – Et Paris Internationale ?

Timothée Chaillou – Sylvia Ammon et Clément Delepine font un travail exceptionnel, leur foire a permis enfin à Paris d’avoir une foire Off digne d’intérêt. J’avais découvert au Swiss Institut de New York, il y a plusieurs années, le travail de Nicolas Party, quel plaisir de voir une oeuvre monumentale de lui dès l’entrée de la foire. Ravi de voir de nouvelles toiles de Patricia Treib chez Marta Cervera, d’Edward Kay chez Rob Tufnell, celles de Georgia Gardner Gray chez Croy Nielsen, d’Orion Martin chez Bodega, de Jacqueline de Jong chez Chateau Shatto ou les dessins de David Rappeneau chez Queer Thoughts.

Margaux Barthélemy – On a beaucoup parlé du douloureux contexte « post-attentat » de cette édition 2016 de la Fiac , l’as-tu ressenti ?

Timothée Chaillou – Un peu. Il faut toujours rester vigilant à ne jamais laisser s’infiltrer en nous la haine ou le mépris. La peur mange l’âme. 

Margaux Barthélemy – On danse assez pendant cette semaine de la Fiac finalement ? 

Timothée Chaillou – Toute ville du monde peut-être une fête, pas seulement Paris. Mais oui en effet, comme lors des concerts d’Abel Ferrara pour l’inauguration de Salo.

Margaux Barthélemy – Est-il est vrai que les américains n’achètent pas en période électorale ?

Timothée Chaillou – Tous les français mangent-ils des grenouilles ?

Margaux Barthélemy – Un scoop de la semaine à nous révéler ? 

Timothée Chaillou – Une grande exposition personnelle d’Urs Fischer semble se préparer à Paris.

Merci Timothée.