25.11.2014

Mise en scène
d’une fuite d’eau
à la Fondation
Cartier

PAR CAMILLE THEVENET

22.02.2015

Du 25 octobre 2014 au 22 février 2015, dans le cadre de son trentième anniversaire, la Fondation Cartier présente Musings on a Glass Box (Ballade pour une boîte de verre), une installation imaginée par le studio de création et d’architecture Diller Scofidio + Renfro. La jeune architecte d’intérieur Camille Thevenet est allée voir ça de plus près. Elle revient pour nous sur l’histoire de cette fondation et sur cette exposition-anniversaire.

« Le 20 octobre 1984, Alain-Dominique Perrin inaugure la Fondation Cartier en présence de César et de Jack Lang. La bâtisse de la Fondation se trouve sur le domaine du Montcel à Jouy-en-Josas, près de Paris. L’aventure peut commencer pour trente glorieuses années. Cette fondation, inspirée des modèles américains, est alors un projet inédit en France ; la loi sur le mécénat culturel n’étant pas encore votée. Elle le sera en 1987, avec la «loi Léotard».
Dans le parc de Jouy-en- Josas se croiseront durant 10 années différentes génération d’artistes, Arman, Jean-Pierre Raynaud, Raymond Hains, Bill Viola. Fabrice Hyber, Jean-Michel Othoniel, Chéri Samba et bien d’autres illustres ou encore inconnus y séjourneront.
Dés lors autour de rencontres expérimentales, les artistes ouvrent le champ de l’art contemporain à des médias non encore considérés comme tels : du design aux installations où la part belle sera faite à la vidéo. Ateliers et résidences assureront le dialogue entre création immédiate et démarche visionnaire. En 1994, La Fondation Cartier s’installe boulevard Raspail à Paris en lieu et place du mythique American Center créé en 1934, lieu de culture depuis plus d’un demi siècle.
Pour cet anniversaire qui fait date, la Fondation Cartier consacre l’année 2014 à une rétrospective qui engage finalement une réflexion vers le futur. Elle est amorcée au mois de mai par l’exposition Mémoire Vive, qui s’est déroulée jusqu’en octobre, avec la présence des artistes patrimoniaux de la Fondation. Quelques 1300 oeuvres plus tard, s’ouvre le second volet de ce vaste projet.
En vilipendant ce mausolée de verre d’un architecte déjà conquérant il y a 20 ans, Jean Nouvel, ses détracteurs allaient oublier que cet anti white cube précurseur avant l’heure, avec la porosité de ses espaces et l’intelligence de sa structure ne connaitrait pas les souffrances du temps. Renversant les conventions de la galerie classique,  Jean Nouvel engageait des enjeux bientôt contemporains : dématérialiser le mur et relier sans rupture l’intérieur et l’extérieur. Ainsi allait naitre une spatialité mise à nu.
La Fondation nous offre sa vingtaine flamboyante en invitant pour l’exposition Musings on the Glass Box les architectes Elizabeth Diller et de Ricardo Scofidio.
Initiateurs d’expériences inattendues, ils se distinguent par une inclination naturelle aux disciplines satellites de l’architecture, comme parfois la scénographie, l’édition, le commissariat d’exposition.  Mais surtout se sont des producteurs d’un Land Art inspiré de post-modernisme.  Ils furent (en rappelant leur vaste production)  les auteurs acclamés de la Babylone new yorkaise, la High Line (2009) et de l’architecture de vapeur, Blur Building (2002) sur le lac de Neufchâtel en Suisse.
Ce ne sont pas des inconnus dans la maison,  puisqu’en 1999 et 2008 sur des thématiques différentes, les robots et les flux de population dans le monde, ils questionnaient notre relation à l’espace, au temps, aux déplacements, lorsque le monde numérique et robotisé pousse l’homme vers une nouvelle forme de nomadisme.
Aujourd’hui, ils interrogent la possible poésie d’une architecture quotidienne. L’espace devient le sujet d’un récit de l’ordinaire : une fuite d’eau.
Ainsi la course accidentelle d’une goute au plafond donne- t- elle lieu au démarrage d’une succession d’événements. Au sol semblant déambuler à l’improviste, un sceau rouge attrape la goute. Dans ce sceau une camera filme le plafond, filme les fuites au nombre de 12, alors qu’un micro enregistre les ondes de l’eau raisonnant dans l’air.
A partir de ce son, le compositeur David Lang et le designer sonore Jody Ellf nous donnent  une interprétation vacillant entre  l’hystérie et le sublime, comme la mue d’une houle sonore en un chœur éthéré. Mais plus renversant encore la camera reliée à la seconde pièce propose un écran baldaquin suspendu à un mètre du sol, sous lequel s’installent et se déplacent les visiteurs.
Le plafond devenu onduleux et mouvant par la répercussion de l’eau et le déplacement du sceau nous entraine dans un environnement immersif digne d’une odyssée sous LSD.
Ce même plafond abandonne sa dimension quotidienne pour devenir un élément scénographique en perdant la banalité de son caractère, en impactant nos sens. Cette mise en scène nous interroge sur notre capacité ou non à s’approprier un espace, avec ses respirations, les rythmes de sa surface, où souffle et pulse une machine que nous imaginons pensante à l’image du robot Hal de Stanley Kubrick. Nous apprenant peut être à considérer cette cathédrale de verre autrement et à l’aimer davantage ».