15.01.2016

PETER SHIRE
LOVE AND PEACE
IN PARIS

New Galerie
Paris

27.02.2016

C’est au cours d’une fraiche soirée du mois de janvier que la foule s’est pressée, nombreuse et souriante, dans l’une des multiples galeries du 3ème, rue Borda chez New Galerie, répondant ainsi à l’invitation de Julie Boukobza.
Quelques semaines seulement auparavant (au mois de novembre) la commissaire envoyait un mail à l’un des céramistes (et pas que) les plus en vogue de la côte ouest des Etats-Unis. Elle proposait en quelques lignes un projet d’exposition à Peter Shire, figure emblématique du collectif italien Memphis qui marqua le design des années 80.
Hashtag Art les a rencontrés au lendemain du vernissage, ils nous racontent les dessous de cette exposition.

Julie Boukobza connaissait bien sûr le travail de Peter Shire, mais ne l’avait jamais rencontré avant de lui faire cette proposition d’exposition. Elle avait déjà pensé à lui lors ce qu’elle était commissaire de l’exposition « Mon Horizontalité » chez Until Then l’été dernier à St-Ouen, mais les agendas ne s’étaient pas accordés. On propose quelques mois plus tard à Julie d’organiser une exposition dans les murs de la New Galerie cette fois, connue pour représenter la jeune scène émergente internationale, post-internet et post-digitale notamment.  Elle décide alors d’amener quelque chose de très éloignée de leur programmation habituelle : une autre génération, une autre culture, un personnage loin des codes actuels de l’art contemporain, et peu connu en France. Elle évoque son attirance pour cette forme de liberté présente chez certains artistes, sans étiquette ni hiérarchie dans la pratique, répondant à une vision très ouverte de l’art.

Elle repense alors à Peter, personnage septuagénaire inclassable, difficile à épingler ou catégoriser, moins connu qu’Ettore Sottsass en France, mais très apprécié d’un milieu de créatifs parisiens, et de tout ceux qui ont eu la chance de le croiser à Echo Park. C’est vrai qu’il possède un statut particulier en France, il a bien sûr marqué le design comme membre de Memphis, avec des pièces phares comme le fauteuil Bel Air dont tout le monde se souvient, mais sa notoriété est bien moindre comparée à celle de Sottsass ou Nathalie du Pasquier.

En novembre, Peter Shire reçoit donc un e-mail de Julie Boukobza qu’il ne connait pas et accepte sa proposition de show dans la journée parce que, nous raconte-t-il, il dit toujours oui ! Un blind date s’opère alors entre eux, dans l’efficacité de l’urgence, à travers des échanges hébergés sur Gmail, pour organiser le choix des pièces. L’artiste et la commissaire se mettent rapidement d’accord sur une sélection à l’image de l’artiste, qu’on découvre deux mois plus tard dans la white cube parisienne.

Hyper généreuse et riche, réunissant toutes les pratiques de Peter,  la céramique, la sculpture, l’architecture, le design et le dessin sur lequel l’artiste insiste particulièrement, car central dans son travail. Elle souhaitait profiter de ce rendez-vous pour faire découvrir au public la personnalité et l’univers hors norme de cet artiste, en projetant au sous-sol de la galerie (dans une cave voutée que l’artiste californien trouve si charmante, médiévale et exotique !), un film montrant Peter dans son quotidien, évoluant dans son atelier qui lui ressemble terriblement.

Julie imagine un curating à l’image de Peter, souhaitant mettre en avant son côté « savant fou » et touche à tout. Elle réussit son pari en réunissant à l’étage le champ lexical foisonnant de Peter sur une grande table blanche, volontairement trop grande, trop haute, occupant tout l’espace de cette petite white cube du Marais , au format déroutant pour un habitant de Los Angeles ! Cette table imaginée par Julie semble avoir le super pouvoir de condenser dans ce petit espace toutes les facettes de ce personnage si étonnant et éclectique. Ses sources d’inspirations sont multiples et débordantes, et il serait illusoire d’en faire une liste exhaustive et d’arrêter Peter sur le sujet.  Sur ce grand socle horizontal et immaculé cohabitent des pièces historiques des années 80, des céramiques fraichement sorties du four encore jamais montrées en Europe, des dessins préparatoires, des pyramides de tasses à thé, des jarres aux formes antiques, des carafes à Saké à l’envers, des mobiles délirants aux couleurs intactes… Et la liste des prix est à l’image de ce joyeux bazar, oscillant entre 45 euros à 7000 euros.

En écoutant l’artiste nous parler de chacune des pièces sélectionnées pour l’exposition, les références historiques s’entrechoquent dans un heureux chaos délirant. On verrait presque Monsieur Hulot rejoindre Ulysse lors de son voyage en mer, oui parce que Jacques Tati est l’un des héros de Peter Shire, et l’Odyssée compte parmi ses livres de chevet. On aperçoit sur une des jarres à la forme greco-romaine un sac Kelly tournoyant en orbite dans l’univers symbolisé par un tourbillon d’autoroutes californiennes… ! Chaque pièce présente sur cette table s’illustre par une anecdote improbable narrée par l’artiste, qui reçoit chacune de mes questions comme une occasion de partager une blague, un souvenir… Un tas d’histoires qu’il préfère largement aux grandes théories sur l’art, aux manifestes, aux visions , comme il aime le souligner.

Au détour de notre conversation il apprend qu’une waiting list a été ouverte par les directeurs de la galerie,  (pas vraiment habitués à vendre par dizaines de mugs à 45 Euros) afin de récolter les coordonnés des nombreux collectionneurs de l’artiste souhaitant acquérir des tasses à thé, et la liste est longue ! Il n’en croit pas ses oreilles et me dit qu’il ne faut surtout pas s’emballer, que rien n’est jamais vraiment acquis… Et pourtant c’est le début d’une grande année pour Peter Shire, qu’on retrouvera à Berlin au mois de mars pour un solo show chez Peres Project, suivi d’une exposition chez Derek Eller à New York en septembre. Il murmure que sa vie est en train de changer…

Voilà comment, un après-midi de janvier, un monstre sacré du design vous donne une leçon d’humilité. À presque 70 ans, c’est avec une grande élégance et générosité que Peter Shire nous offre son premier solo-show parisien. Et ça s’entend jusque dans le titre de l’exposition, « Love and P’S », sorte d’hommage personnel suite aux attaques de Paris, qu’il personnifie avec ses initiales, sorte d’écho à la paix…