Alors que s’ouvraient fin mars Art Paris, Drawing Now et le PAD, la jeune passionnée d’art contemporain, Marie Madec, inaugurait le 31 mars Sans titre (2016) une exposition d’un nouveau genre accueillie dans un incroyable duplex parisien quai de Tournelle. À rebours des white cubes traditionnels dont visiteurs et collectionneurs commencent à se lasser sérieusement, l’idée de cette toute nouvelle proposition curatoriale est de réintroduire les œuvres dans la domesticité de l’espace intime et de s’interroger sur la manière de vivre avec l’art contemporain. Marie nous invite chez elle, et pourtant elle décide d’y inviter oeuvres et visiteurs en premier, avant même d’y dormir, puisqu’elle ne s’y est pas encore installée… La visite c’est par ici !
Jeune diplômée en Histoire de l’Art et même félicitée par Philippe Dagen, c’est assez naturellement que Marie Madec a eu cette volonté presque précoce (Marie a tout juste 24 ans) d’organiser cette exposition et ainsi montrer sa version de la collection idéale et fantasmée. Après de longs mois de travail consacrés aux demandes de prêts et autres problématiques de production et de transports, arrive enfin le jour de l’accrochage. Sous l’oeil averti et connaisseur de Marie, chaque oeuvre d’art, chaque objet, meuble et livre trouve finalement sa place dans cet espace rénové et pensé spécialement pour cette exposition.
Car il faut savoir que cette exposition est une oeuvre globale, à même pas trente ans, cette jeune femme a pensé sa première exposition dans son intégralité allant jusqu’à concevoir le lieu qui l’accueillerait, chaque recoin de cet appartement étant partie prenante de l’exposition. Aidée par Maxime Bousquet, un copain architecte, Marie conçoit entièrement la décoration intérieure de ce rare écrin qu’on aimerait ne plus quitter. Son goût et sa malice créent une atmosphère unique, il faut dire que c’est très réussi. Dans la cuisine se rencontrent une flopée de placard Ikea en Inox et un sublime plan de travail réalisé avec un terrazzo signé Max Lamb.
Pour passer à l’étage, on empreinte un escalier enduit d’un rose rappelant celui d’une marque de jean suédoise, alors que sur les murs du salon se mélangent béton et feuilles de laiton.
S’ajoute à son gout certain pour la décoration d’intérieure, une passion pour l’art contemporain, qu’elle tient de ses études bien sûr mais aussi de son enfance. Dès son plus jeune âge elle parcourt les allées des plus grandes foires d’art du monde, chine vêtements, meubles et objets aux puces, visite les expositions et commence à collectionner très tôt. Ce qui lui offre, sans doute, une aisance assez palpable avec le monde de l’art contemporain, notamment galeristes et artistes qu’elle semble déjà bien connaître.
Cette proximité et cette connaissance de ces acteurs lui offre une facilité qu’on ressent dans son accrochage : elle est tellement à l’aise avec cette jeune scène artistique qu’elle n’hésite pas à accrocher du Neil Belouifa au dessus de la table ronde de la cuisine, qu’elle détourne en plafonnier pour éclairer les diners de copains. Elle se défait avec élégance des codes institutionnels et du piédestal habituel qu’on retrouve trop souvent autour des oeuvres. Elle invite par exemple le jeune artiste Romain Vicari, tout juste diplômé des Beaux-Arts de Paris à créer une oeuvre in situ sur les murs de son patio, où copains et visiteurs viennent fumer des clopes.
Ici vous ne trouverez pas de cartel, mais des oeuvres partout, puisque même le bouquet de fleurs posé dans la cuisine n’est pas là par hasard. Marie a eu la bonne idée de proposer au fleuriste désormais le plus couru de Paris, Debeaulieu, de faire une reproduction à échelle 1 d’une nature morte de l’artiste Amir H. Fallah. Elle installe nonchalamment sur le sol de la cuisine, un immense format de la série « Je ne regrette rien » de Théo Mercier & Erwan Fichou.
En empruntant l’escalier on reconnait un petit Jonathan Binet prêté par Balice Hertling, puis à l’étage, entre deux fenêtres qui encadrent une vue imprenable sur la Seine, on retrouve Théo Mercier avec un masque incroyable accroché au mur. En passant par la chambre on croise les sublimes lianes de Jean Royère. Au bout du couloir qui mène à la salle de bain, c’est au tour du jeune duo d’artistes Come di Meglio et Eliott Paquet d’investir la salle de douche avec une installation in situ invitant le visiteur à la méditation.
Quitte à sortir de l’espace d’exposition traditionnel, autant le faire à fond.
On découvre ainsi au fil de la visite des oeuvres jusque dans les toilettes et même dans le frigo. Comment dire… On respire beaucoup mieux que dans les allées d’Art Paris non ?
Aux oeuvres d’art se mêlent aussi du mobilier allant des années 40 aux seventies chiné aux puces, des vêtements vintage qu’on découvre dans le dressing, des livres accumulés dans une bibliothèque moderniste, des magazines posés un peu partout, et des objets réalisés spécialement pour l’exposition par des designers contemporains comme les bougeoirs de Marine Breynaert.
On pense alors à des initiatives du même ordre telles que Chambres à part organisée par Laurence Dreyfus, on encore Private Choice par Nadia Candet, toutes deux proposant de l’art contemporain ou du design dans des appartements privés… Et pourtant, bien que celui de Marie Madec ne soit pas encore habité, on s’y sent étrangement un peu plus chez nous.
C’est à voir jusqu’au 30 avril, même si des bruits parlent déjà de prolongations possibles… Sans titre (2016) ce n’est pas seulement un prétexte pour voir de l’art contemporain qu’on aime à Paris, c’est aussi la certitude de passer un bon moment assis dans un canapé au beau milieu d’un appartement parisien, admirant la vue dingue sur la Seine, découvrir des livres rares soigneusement choisis par Marie, grande bibliophile, ou simplement discuter de la dernière exposition d’art contemporain que vous avez vu.
Sur rendez-vous uniquement : contact@sanstitre2016.com