03.11.2014

"J’ai visité
la fondation
Louis Vuitton
et je n’ai pas aimé"

par Antoine Daniel

HASHTAG ART invite cette semaine le designer Antoine Daniel à nous parler de son expérience lorsqu’il visitait pour la première fois la Fondation Louis Vuitton conçue par l’architecte Frank Gehry.

« J’ai visité la fondation Louis Vuitton et je n’ai pas aimé. J’ai d’abord été surpris par cette gigantesque structure de verre et d’acier, qu’il faut le dire, est impressionnante. Lorsqu’on est face à elle on a envie d’y entrer. Je suis entré, mais je n’aurai pas du. Lorsqu’on a fini la première salle, on a là aussi hâte de passer à la suivante, en se disant que celle-ci sera peut être mieux, mais je me suis malheureusement perdu. A droite ? A gauche ? Je tombe nez à nez avec une porte réservée au personnel. Demi tour, je monte à l’étage, ne comprend pas bien ce qui est exposé mais peu m’importe, je ne désespère pas d’être surpris par une bonne idée, une belle perspective, quelque chose d’autre que ces murs désespérément blancs et bizarrement tordus.

En cherchant la salle suivante je me retrouve par erreur sur le toit. Là encore je reste sur ma faim. Il aurait pu y avoir de la place mais Frank Gehry a du préférer nous faire faire la queue pour y entrer et y sortir, il a également préféré nous faire nous marcher dessus tant il y a de réserves techniques, d’escaliers et de niveaux qui prennent de la place.

Il aurait pu y avoir une belle vue sur Paris mais c’est sans compter sur ces voiles de ferraille et de verre qui cachent la tour Eiffel et la quasi totalité de la vue sur Paris. Il n’y a aucun jeu de cadrage, aucun jeu de lumière, RIEN.

Je commence à me dire que je suis tombé dans un guet-apens architectural, une gigantesque farce dont le clou se trouve en contrebas, au niveau de l’auditorium lorsque je me retrouve nez à nez avec cette fontaine digne des plus grands palaces de Dubai. C’en est trop, je m’en vais. Je suis déçu et j’ai désormais la certitude que cet homme est un escroc. J’ai l’impression qu’il a travaillé l’extérieur pour faire une belle photo et complètement délaissé la circulation à l’intérieur. Ce que je reproche à cet homme ce n’est pas tant de faire de l’architecture sensationnelle, je lui reproche de ne pas faire d’architecture.

Je prends pour exemple le Mucem de Rudy Ricciotti à Marseille. Le Mucem a ce point commun avec la Fondation Louis Vuitton c’est que c’est à la fois un musée et un musée architecturalement spectaculaire. Un musée a besoin aujourd’hui pour subsister d’attirer des visiteurs. Plus le musée est impressionnant et sensationnel, plus sa couverture médiatique va être importante et plus le nombre de visiteur va lui aussi être important. C’est ce qui se passe au Mucem (mais aussi au centre Pompidou Metz de Shigeru Ban, au musée Soulages de RCR,…) et va sans doute se passer à la Fondation Louis Vuitton. Le bâtiment devient une œuvre à part entière au même titre que ce qu’il est censé exposer.

Le visiteur y va désormais davantage pour voir le contenant que le contenu. C’est une histoire de fond et de forme. Mais pourquoi pas si cela contribue à la démocratisation de l’art contemporain et de l’art en général. Deux bâtiments similaires dans la forme donc avec deux architectures extrêmement techniques (Bfup, cintrage de verre securit, lamellé collé,…) mais deux bâtiments extrêmement différents dans le fond.

Le Mucem a été réfléchi dans sa relation avec l’extérieur, dans sa matérialité, il offre des perspectives magnifiques vers la méditerranée. C’est un ouvrage poétique, ouvert, à l’image de cette façade en moucharabié qui fait écho à une culture qu’il défend.
A la Fondation Louis Vuitton, on a également une débauche de technique, près de 30 brevets ont été déposés, mais une débauche au service d’une esthétique gratuite qui ne s’inscrit ni avec son environnement ni avec le sujet.

Le Mucem n’aurait pas pu être construit ailleurs, il est à sa place et il y est bien. Franck Gehry fait ici un bâtiment qui pourrait aussi bien être à Dubai qu’à Sarcelles, il a été pensé en se suffisant à lui même, à la façon d’un objet. C’est un bâtiment de techniciens conçu par des ingénieurs pour des ingénieurs. La technique seule ne suffit pas à faire un bel ouvrage au même titre qu’une belle idée mal réalisée n’y arrive pas non plus.

On est ici dans la pure représentation d’une époque où la forme a pris le pas sur le fond et c’est malheureux. C’est de l’architecture de badauds qui plaira surement beaucoup aux touristes désireux de faire la queue. »