30.05.2017

Retour sur la 57ème
Biennale de Venise.

Venise

26.11.2017

Alors qu’Audrey Azoulay occupait encore ses bureaux de la rue de Valois, tout le petit monde de l’art contemporain français et international se pressait à Venise pour inaugurer à grands renforts de previews et autre private party, la 57ème Biennale de Venise.
Une édition particulière pour nous les français, puisque cette année, pour la 1ère fois, c’est une française qui est aux commandes du commissariat général, à savoir, Christine Macel et son slogan Viva Arte Viva.
Pour que vous ne ratiez rien de cette Biennale dont tout le monde parle, on vous livre les coulisses et les points forts récoltés lors de l’intense week-end d’inauguration.

Tout d’abord, si vous comptez vous aussi arpenter Venise pour en démordre avec cette Biennale tentaculaire, on vous conseille chaudement le port constant de la basket. Allié obligatoire pour sillonner la ville au pas de course, traverser une demi-douzaine de ponts, pour rejoindre le Palazzo Ducale depuis les Giardini.

Si vous êtes quelque peu effrayé à l’idée de parcourir au réveil les deux immensités que représentent l’Arsenal et les Giardini, on vous recommande d’entamer votre séjour vénitien en douceur, avec la géniale exposition « The Boat is Leaking. The Captain Liedde », de la Fondazione Prada. On y retrouve les fameuses maquettes photographiées par Thomas Demand, emmenées dans une scénographie pertinente et immersive. Un sans faute.

Cela fait déjà 1 mois que vous lisez et entendez partout des horreurs sur la dernière exposition Hirst chez Pinault ? C’est enfin votre tour de vous faire un avis en observant plus de 400 oeuvres exposées simultanément au Palazzo Grassi et à la Punta Della Dogana, une première. Un blockbuster à plusieurs millions d’euros financé par les deux milliardaires, François et Damien. Une mise en abime gigantesque dans laquelle le marché de l’art, voir le monde tout court, est trainé dans la boue, ou plutôt noyé sous les eaux. Hirst, personnage central de cette histoire sordide, distribue les rôles à Pharell, Rihanna, Mickey, ou autres créatures effrayantes, sirènes, cyclopes, sphinx et  hermaphrodites. Après les avoir repêchés des eaux les plus profondes, il les hisse à la même hauteur, celle de l’argent, à coup de buste en marbre de carrare, de bijoux en or, en bronze, de parures les plus clinquantes.
La plongée est même documentée, rétro-éclairée, si, si ! Un délire en deux volumes, à 15 euros l’entrée, finalement assez comparable avec un  film de science fiction projeté dans une salle climatisée des Champs-Elysées, le pop-corn en moins. La vue sur la lagune en plus ! L’avantage à Venise c’est qu’on peut découvrir dans la même journée le scénario catastrophe de Hirst chez Pinault, et revoir les sublimes créatures infernales de Jérome Bosh,  au Palazzo Ducale. De quoi disserter quelques heures.

Grande tendance cette année à Venise : le revival du verre, de Murano bien sur ! Alors que Jan Fabre s’installait dans un sublime Palais sur le Grand Canal avec « Glass and Bone », une exposition réunissant les oeuvres en verre de l’artiste depuis 1977, le jeune Loris Gréaud s’incrustait dans l’ancien atelier d’un verrier sur l’île de Murano, pour un pari plus audacieux, financé par Emerige. Sous le commissariat de Nicolas Bourriaud, Loris Gréaud proposait une installation immersive, à la frontière de la performance, où artiste et artisan – et parfois Julie Gayet – se croisent sous un ciel de 1200 boules de verre accrochées au plafond.

L’engouement du verre s’étendait d’ailleurs à l’ensemble de l’archipel vénitien, puisque même à San Giorgo Maggiore, véritable îlot de tranquillité à quelques minutes en vaporetto de San Marco, la Fondazione Cini présentait un ensemble remarquable de plus de 200 oeuvres en verre du mythique Ettore Sottsass. Figure emblématique du groupe Memphis, Sottssas a décidément le vent en poupe cette année à Venise, puisque l’architecte parisien Charles Zana présente sa collection personnelle de céramiques de l’artiste, dans le sublime showroom Olivetti signé Scarpa. Chic.

Parlons peu, parlons bien, il est désormais temps de franchir les tourniquets de l’Arsenal, dont nous retiendrons essentiellement les sublimes vibrations rythmées par le couscous de Kader Attia, ainsi que le très sombre, mais si fort, miroir d’eau de Giorgio Andreotti au sein du Pavillon italien. On avoue regretter d’avoir loupé le pavillon Libanais, qui était dans toutes les bouches au lendemain de cette inauguration… Vous nous raconterez !
Pour le reste, on n’a pas vraiment adhéré à l’univers mi-utopiste, mi-chamane, tout en textile tricoté, imaginé par Christine Macel au sein de l’exposition centrale de l’Arsenale, Viva Arte Viva.

Autre étape incontournable de toute Biennale vénitienne qui se respecte, les historiques pavillons des Giardini. En bon chauvin, il n’était pas question de louper le pavillon français confié à notre cher Xavier Veilhan, dont la nomination fut si décriée. Un sublime studio d’enregistrement, une line-up démente, une présence quasi-quotidienne de l’artiste jusqu’à la fin du mois de novembre, des instruments incroyables, rangés dans de précieux coffrages dessinées sur-mesure, une architecture  en pointe pour accueillir le son… Un lieu idéal pour enregistrer le dernier album des Daft Punk.

Pour l’émotion, on vous conseille d’aller de l’autre côté du jardin, chez les allemands. La plasticienne Anne Imhof y orchestre un véritable chef-d’oeuvre de la performance, qui a secoué toute la Biennale,  sous la houlette de la commissaire Suzanne Pfeiffer, avec Faust. Un casting de performers à couper le souffle, dont chaque visage et corps rappellent l’esthétisme d’Hedi Slimane ou de Ron Mueck. Des regards tantôt vides, blancs, enragés, froids, tétanisants. Des visages qu’on a encore en tête. Ils envahissent progressivement l’espace comme des chats, des fauves. Ils sont au dessus, au dessous, partout, en meute, ou éparpillés. On reconnait, sous le plancher en verre surélevé par une forêt de pieds métalliques, leurs joggings à trois bandes, des baskets à scratch. Ils sont là cinq heures par jours, pendant six mois, jusqu’au dernier jour de la Biennale. Un véritable coup de poing, et un lion d’or bien mérité.

Notre espace de stockage est désormais au bord de l’explosion, occupé par des vues nocturnes de la place San Marco, des vidéos témoignant de trajets animés en vaporetto, des clichés roses volés à l’Accadémia avec Philip Guston, ou encore par des vues dorées de  l’oeuvre phallique de James Lee Byars.

L’avantage de Venise, c’est qu’on en ressort jamais indemne. La multiplication des rendez-vous d’art contemporain a beau faire, la Biennale reste la reine. La découverte de cette ville est toujours un choc émotionnel, une expérience en soi, dont on ne se lasse pas.

On a décidé qu’on ne boirait plus de prosecco jusqu’en 2019, on a des ampoules à chaque orteil puisqu’évidemment on ne portait pas de basket, et surtout on s’interroge plus que jamais sur l’avenir de l’art contemporain. Et si la beauté de la cité des doges l’emportait sur tout le reste ?