05.05.2016

Printemps de
l'Art Contemporain

Marseille

28.05.2016

Samedi soir à Marseille, Boulevard National, en s’approchant des ateliers Tchikebe , on entendait déjà le fond musical électronique qui fait danser cette jeunesse marseillaise prête à électriser la ville. C’est ainsi que le Printemps de l’Art Contemporain 2016 nous saluait,  offrant une dernière danse avant l’année prochaine, suant sur la piste,  éblouissant nos visages avec une vieille boule à facettes.
S’ouvrait donc mercredi dernier la 8ème édition du PAC : quatre jours d’art contemporain intenses, orchestrés d’une main de maître par Marseilleexpos, sur un territoire brutaliste et malmené, qui sait pourtant nous conquérir.
Le week-end de lancement s’articulait à travers un parcours très chargé et ensoleillé : une quarantaine de lieux à visiter, des galeries, des ateliers, des musées, des biennales, des fondations ou encore des associations… Sans compter quelques pauses dans les calanques, ou autres siestes à l’ombre d’un palmier.

Que retenir de ce pont de l’ascension ? Une équipe surchauffée prête à faire de cette ville une réelle destination internationale de l’art contemporain .
Oui, parce qu’on se le dise, Marseille Capitale Européenne de la Culture en 2013 n’a pas suffi, ou du moins, le soufflé est redescendu depuis. Les organisateurs tout comme les nombreux acteurs de l’art contemporain en sont conscients, ici le pari n’était pas gagné d’avance. Même si la bonne nouvelle de la candidature retenue de Marseille pour Manifesta 2020 tombe à pic au beau milieu de ce temps fort de la culture.
On retient évidemment la tête d’affiche du parcours, la véritable star du PAC : l’exposition « Les Possédés » inaugurée vendredi dernier à la Friche de la Belle de Mai, musée métamorphosé depuis MP13.  Les deux commissaires de l’exposition Véronique Collard Bovy et Jérôme Pantalacci rassemblent avec brio les trésors possédés par les principaux collectionneurs privés de la région, largement dominés par Josée et Marc Gensollen qui prêtent pour l’exposition une quarantaine d’oeuvres majeures issues de leur collection.
Au fil des trois niveaux occupés par l’exposition, on constate que parmi les 24 artistes exposés et prêtés par une dizaine de collectionneurs privés et sudistes, nombreux sont ceux qui peuvent se vanter d’être présents au sein de plusieurs collections marseillaises. Les oeuvres de Sâadane Afif par exemple enrichissent les collections Gensollen,  Duclos, Xoual, ou encore Le Goff. Et l’histoire se répète avec l’artiste berlinois Jean-Pascal Flavien, quand à lui présent parmi les collections Gensollen, Le Goff, Duclos et Chaix.
Un phénomène qui interpelle et interroge : peut-on noter le même type « d’acquisitions groupées » dans d’autres régions françaises ? Les collectionneurs bordelais ou lyonnais par exemple aiment-ils collectionner les mêmes artistes ? Y’aurait-il une sorte de collectionneur-leader qui donne le ton dans chaque région ?
Ou tout simplement un bon galeriste qui donne le la aux collectionneurs de sa province ?  Ici l’hypothèse se confirme avec la jeune et talentueuse Mara Fortunatovic, fraîchement diplômée et félicitée des Beaux-Arts de Paris en 2013, dont le travail a retenu l’attention du galeriste Didier Gourvennec-Ogor,  installé dans la cité phocéenne depuis 2011,  qui lui offrait un solo-show en mars 2015…
L’artiste peut aujourd’hui se vanter d’être montrée à la Friche de la Belle de Mai au sein de cette exposition qui lève le voile sur les collections privées du Sud. Cinq oeuvres de la jeune artiste ont été prêtées par plus de quatre collectionneurs dont les Gensollen, les Chaix, ou encore le collectionneur Christian Carassou-Maillan. Des premiers pas fulgurants pour cette jeune artiste qui doit déjà beaucoup au Sud.

Parmi les collectionneurs marseillais, n’oublions pas de nommer Marie-Hélène et Marc Feraud qui ont crée en 2009 leur fonds de dotation M-ARCO, installé dans un hangar grandiose de plus de 1000 mètres carrés à l’Estaque. Ils inauguraient pendant le PAC le huitième volet de leur cycle d’expositions « Dark Night Three », une proposition historique de l’artiste suisse Helmut Federle.
Hormis ces deux évènements majeurs inaugurés en grande pompe, où il était de bon ton de serrer quelques mains, la programmation marseillaise du week-end faisait la part belle à la jeune création, à la diversité et même à l’underground.

Des soirées rythmées par des dizaines de vernissages qu’on s’empressait de rejoindre au pas de course en empruntant les ruelles escarpées de la ville pour ne surtout rien louper. Une soupe rose ou orange, c’est au choix, était servie par l’artiste Seulgi Lee dans le patio de la librairie HO à la Plaine jeudi soir. À deux pas, on découvrait la multitude de dessins récoltés par le duo d’artistes « Amateurs » formé par Jin Angdoo & Mathieu Julien à la Straat Galerie. Il ne fallait surtout pas louper l’exposition « NÈ » proposée par deux jeunes femmes artistes Amandine Guruceaga et Catarina de Oliveira au sein de l’artist run space Tank rue de la Loubière. À quelques encablures, dans les quartiers chics, les deux commissaires Emmanuelle Luciani et Charlotte Cosson mettaient elles aussi la jeune création à l’honneur en présentant le travail du jeune Gabriel Méo, diplômé des Beaux-Arts de Nice en 2013. On retient également l’initiative portée par le Studio Fotokino, « Ink »,  nouveau rendez-vous dédié aux pratiques indépendantes et alternatives de l’édition d’art.

Vendredi matin, retour à la Friche de la Belle de Mai, veritable centre névralgique de cette manifestation, où nous rencontrions les artistes actuellement en résidence dans cette immense bâtiment. Grâce au soutien de l’association Triangle France, basée à la Friche depuis 1995, et Astérides, membre de Marseilleexpos depuis vingt ans, la Friche accueille et accompagne la jeune création au coeur d’une ville compliquée où la culture est loin d’être une priorité budgétaire.  Triangle et Astérides savent pourtant briller par leur programmation en pointe.
Coup de coeur notamment pour la belle et obsessionnelle Victoire Barbot, accueillit par Astérides, qui archive avec une poésie désarmante les débris de la ville, à travers des sculptures intitulées « Misensemble » , qu’elle redessine ensuite en  « Misenboite », dernière étape de son archivage.
Il faut croire que les artistes obsessionnels du rangement pullulent à Marseille, peut-être est-ce une réaction naturelle au bordel et à la saleté légendaire de la ville ? On tombe quelques heures plus tard, sur le travail de l’artiste Ahram Lee exposée par Videochroniques au coeur du Panier.  Elle aussi obsédée par l’ordre et le rangement au point de mettre en scène une installation géniale intitulée « Pourquoi il faut ranger sa chambre ou pourquoi il ne faut pas ? »

Marseille a choisi la deuxième option à coup sûr ! La belle citée phocéenne ne range pas sa chambre depuis belle lurette et préfère désobéir aux dictats de la branchitude et de la gentrification. Marseille n’a pas encore cédé à l’aseptisation de nombreuses capitales européennes. Ici les trentenaires préfèrent encore la pizza au gluten, il n’y aucune liste de VIP à l’entrée des vernissages branchés, et on boit encore des pastis pour 2 euros !
Il est clair que la jeunesse marseillaise, celle qui occupe les ateliers de la Friche, celle qui danse boulevard National chez Tchikebe le samedi soir, celle qui se bouge pour offrir un écho national au Printemps de l’art contemporain et même international à Artorama,  cette jeunesse qui fait vibrer la ville…. Celle-ci passe peu de temps dans les centres commerciaux construits par nos élus.
Elle détient dans ses mains le destin culturel de cette ville, c’est elle qui décidera.