29.12.2015

Timothée Chaillou
nous dit tout :
Entretien.

Paris

Depuis la rentrée 2015 le nom du jeune Timothée Chaillou a été chahuté à plusieurs reprises dans la presse spécialisée. Concernant le Prix Orisha dans un premier temps et dernièrement suite au report de la première édition de la foire AKAA. Il a nous semblé intéressant de laisser la parole à cet ambitieux commissaire, entre autres, pour tenter de mieux comprendre les coulisses de ces deux affaires qui ont fait couler beaucoup d’encre en France comme à l’étranger.  Mais aussi pour découvrir ces nouveaux projets, toujours abondants mais jamais suffisants pour ce boulimique de travail !

Cher Timothée, ces dernières semaines tu es apparu à plusieurs reprises dans la presse française et étrangère, concernant ta démission de la foire AKAA. Aujourd’hui nous sommes ravis de  t’entendre plus longuement sur les raisons de cette démission. 

D’une part, comme je l’ai déjà exprimé, je n’ai pas été consulté sur le report de la foire, ni sur la réorganisation de l’équipe autant que sur les décisions liées à ma fonction de directeur artistique, donc cette démission s’est en effet imposée à moi.

Mi-novembre, j’ai eu une discussion avec la direction, au terme de laquelle je devais choisir de maintenir ou non mes fonctions au sein de l’équipe. Un temps de réflexion m’était nécessaire, par respect pour l’équipe, pour ne mettre personne dans l’embarras face à une démission, qui serait venue s’ajouter à cette décision de report de la foire.

La foire étant l’aboutissement d’un travail collectif, il aurait été naturel d’être concerté, sur la décision d’un report, même si ma mission s’arrêtait mi-décembre – ma fonction à elle seule le légitimait.

Très investi dans ce projet, pour lequel Victoria Mann a personnellement sollicité ma collaboration, je comptais sur la synergie entre la direction et son équipe, dont je faisais partie contractuellement. Cette expérience était intéressante dans la mesure où j’y prenais pleinement part, elle l’était moins dès lors que l’on m’écartait des discussions concernant des décisions collectives…

D’autre part, je pense qu’un événement de cet ordre ne pouvait se passer d’experts tels que Jean-Hubert Martin, André Magnin ou Simon Njami.

La « jeune garde » est très importante mais j’aurais aimé que l’on travaille avec ces personnalités qui ont été des pionniers dans la visibilité de la création contemporaine africaine en France.

Je peux regretter que, en ma qualité de directeur artistique, certains de mes choix, ou de mes vœux n’aient pas trouvés écho, ni même fait l’objet du moindre débat.

Maintenant, j’ai beaucoup de projets et d’activités sur lesquels je suis décisionnaire et qui me demandent du temps, c’est sur ceux-ci que mon investissement, mon énergie et ma rigeur se dirigent pleinement aujourd’hui.

Certaines galeries ne se sont pas retrouvées dans cette décision de report de la foire suite à ces évènements tragiques. Elles évoquent d’autres raisons qui seraient les réelles motivations de ce report : que cette première édition d’AKAA n’était tout simplement pas prête,  que les galeries importantes n’étaient pas aux rendez-vous…

N’ayant pas été consulté, je n’ai pas eu connaissance de la teneur du débat interne et des raisons qui ont poussé au report de la foire.

La France a été frappé par une violence incontestable. Si d’autres raisons que ces tragiques circonstatnces sont à l’origine du repport d’AKAA, c’est à la direction de s’en expliquer. Il est primordial d’avoir l’humilité de ne tirer aucun profit de ces événements, face à une société endeuillée par ces drames et iniquités.

Quel effet cela fait de devoir se justifier sur ses choix à plusieurs reprises dans la presse ?

Ce n’est pas nécessairement agréable, mais obligatoire pour ne laisser aucune place à l’ambiguïté.

Pour ma part, le plus important était d’avoir le soutien d’un grand nombre d’acteurs et d’experts liés à l’art contemporain africain.

J’aimerais que l’on discute de mes activités sur le fond, plutôt que de commenter l’écume de celles-ci.

J’aimerais également te donner la parole concernant les problèmes que tu as rencontré avec le Prix Orisha.

Nous avons eu l’immense regret d’annoncer que le lauréat du Prix Orisha 2014-2015 a renoncé à son prix et ainsi à la dotation attribuée à la réalisation de deux expositions, l’une en France l’autre au Bénin.

Notre peine est d’autant plus grande que le travail passionnant accompli depuis deux ans, de mettre en lumière l’œuvre d’un artiste de l’Afrique subsaharienne au-delà de ses frontières, ne trouve pas la suite escomptée pour cette 1e édition.

Le Prix Orisha est né dans le contexte de nombreux prix d’art contemporain d’où l’Afrique était absente. Il y avait une nécessité de créer ce prix et qu’une initiative privée, puisse faire un focus sur l’Afrique subsaharienne, en privilégiant les rencontres régulières avec son lauréat, dans son pays.

Nous avons été très surpris de voir un projet de contrat privé en cours d’ébauche et de discussion, soit porté à la connaissance de personnes étrangères à celles concernées – c’est-à-dire l’équipe du Prix Orisha et le lauréat.

Kifouli Dossou, par l’intermédiaire inattendu de Romuald Hazoumé, n’ayant pas fait suite à l’ébauche de notre protocole d’accord nous avons dû, avec l’immense tristesse que cela suppose, accepter son renoncement. Un contrat est fait pour être discuté. Romuald Hazoumé a fait le choix de rompre la discussion en faisant ainsi porter la responsabilité de ce choix à Kifouil Dossou, et d’instiller une méfiance sur notre initiative, en mettant en cause notre bonne foi.

J’imagine que tu souhaites désormais te consacrer à tes activités d’expert en art contemporain, de critique et de curator, tout en conservant ce lien avec l’Afrique ? 

Absolument car je crois, comme le dit Alfred Tennyson, que « j’appartiens à ce que j’ai rencontré ». Un jour André Magnin m’a dit, « nous aimons tous les deux l’art contemporain, puis on nous a poussé à regarder les arts de l’Afrique d’un œil plus précis et plus conscient ». C’est André Magnin lui-même qui m’a permis de redoubler d’attention à l’égard de cette scène artistique, lorsque nous avons organisé la vente African Stories chez Piasa.

Mes muses, resteront toujours la vie, la mort, les corps, les langages, les émotions et les sentiments. Ces éléments n’ont aucune frontière, ils nous sont communs et nous permettent de voir la beauté polyphonique du monde.

Je suis directeur artistique d’Appartement, directeur du Prix Orisha, directeur artistique de Gondar Art Tank, tout en étant consultant pour des collectionneurs privés et des maisons de ventes aux enchères.

J’enseigne l’histoire des expositions, donne des conférences tout en étant correspondant pour de nombreuses revues. J’édite un ouvrage concernant les films et performances de Xavier Veilhan, qui sort en mars. Je mets en place plusieurs projets d’expositions, dans lesquels l’art contemporain africain a une place prépondérante.

Je vais lancer prochainement mon nouveau site internet ; une plateforme dédiée à la mise en valeur de l’art contemporain africain ; un site et agenda en ligne pour les lieux d’expositions indépendants à Paris ; ainsi qu’un ouvrage rétrospectif des 100 conversations que j’ai menées avec des artistes depuis 10 ans.

J’ai fort à faire et je me situe dans le même état d’esprit que Grace, dans Dogville de Lars Von Trier, qui « a cette faculté de tenir tout ce qui pouvait y avoir de déplaisant autour d’elle à distance. Elle qui avait reçu d’un dieu généreux, une aptitude exceptionnelle à aller de l’avant, uniquement de l’avant. »

 

Merci Timothée !